Le ciel était de temps à autres coupé par des nuages d'un blanc parfait, véloces coursiers portés par le vent. Le vent... Il soufflait fort ce jour là. Ma fourrure tachetée était électrifiée, et le moindre de mes geste entraînait une étincelle. Les arbres que j'apercevais au loin tournoyaient comme des toupies. Je me tenais sous un surplomb rocheux, derrière un buisson, protégée des éléments déchaînés. Enfin, Nuage de Bruine apparut au loin, petite silhouette blanche se rapprochant pas à pas. Il m'aborda, la gueule débordant de questions.

- Que fait-on aujourd'hui ? On va chasser ?

Je regardais mon aspirant, une flamme dans les yeux. Il semblait très impatient. J'avais d'abord songé à la chasse aux écureuil, mais j'avais une meilleure idée. Il était garde-caverne, après tout, son entraînement au combat était le plus important. Il aurait bien le temps de chasser, et ce fort vent n'y était pas propice. A tout avouer, je préférais le combat à la chasse, et j'y excellais plus bien que d'autres chats à qui je songeais parfois m'avaient entraînée à la traque. Mais aujourd'hui, impossible d'escompter attraper une proie, le maître du vent semblait vouloir raffermir sa suprématie en cet endroit. J'espérais que le vent ne soufflait pas aussi fort dans la forêt, sans quoi nous n'aurions plus que des racines en guise de dîner !

- Non, non, pas de chasse par ce temps ! Nous allons faire quelque chose de très utile pour ta musculature, nous allons escalader ! Escalader ce versant de montagne, bien sûr, pourquoi crois-tu que je t'ai conduit ici ?

Et pour couper court à toute discussion, je criai en me dirigeant vers les rochers aux points acérées :

- Attention à ne pas tomber, tu ne te relèverais plus !

Puis, pour chasser un doute :

- Tu n'as pas le vertige au moins ?

Nous grimpâmes longtemps. Des petits cailloux s'effritaient sous mes pattes par endroit. Le vent semblait décidé à nous empêcher d'atteindre le sommet. Je préférais ne pas regarder en bas pour le moment, mais je savais que la vie devait être magnifique. A un moment, je m'arrêtai pour laisser à Nuage de Bruine le temps de me rejoindre, et le paysage était d'une beauté à couper le souffle. Les arbres n'étaient plus que des points verts, dans une immense cuvette traversée par une rivière. Je croyais voir, à l'opposé, l'écume de l'eau se précipitant dans le vide pour finir son chemin, dans la grande cataracte. De là, je pouvais voir l'emplacement de la grotte, bien que la végétation cachait l'entrée de la chute d'eau. On ne pouvait pas en dire autant du camp de la Tribu adverse. Ils semblaient avoir choisi la clairière la plus dénudée pour s'installer dans une grotte. Je soupirais. Puis nous reprîmes l'escalade. Enfin, nous arrivâmes au sommet. La vue était encore plus superbe. Le vent gonflait mon pelage. Je demandai à mon aspirant :

- Jolie vue, n'est-ce pas ? Tu es prêt pour la descente ?

La montée, c'est presque toujours de la rigolade face à la descente. Parce qu'un seul faux pas, et on dégringolait dans le vide. Il fallait faire attention aux parois de roches glissantes, aux endroits moussus, aux cailloux qui s'effritaient. Le souffle court, je ne regardais surtout pas en bas. Je n'avais pas particulièrement le vertige, mais je savais que la vue vertigineuse de la falaise à pic sous mes pattes me donnerait le tournis. Enfin, mes pattes touchèrent le sol. J'étais contente. Nuage de Bruine s'écroula à terre, et tant il avait l'air de haïr l'escalade, je dis pour rigoler :

- Tu es triste que ça soit déjà terminé ? Ne t'inquiète pas, nous pourrons recommencer demain !

Puis je me repris :

- Je plaisantais. Que dis-tu d'une partie de chasse, pour t'y exercer un petit peu, demain ?