La nuit était froide. Une brise glaciale se leva, la brume s’épaississant, la pluie s'amplifiant. Il faisait même très froid pour une soirée de printemps ! La chatte errante sentait les feuilles sous ses pattes, se faufilait entre un maquis de fleurs fanés et les roseaux qui pendaient mollement jusqu'au sol, et se glissant entre deux gros rochers assez bien isolé et étroite pour y laisser passé un félin.

Eh bien tant pis. Ces vauriens de la Tribu de l'Eau Vive allait devoir accepter, tant bien que mal, que l'intruse passe une petite nuit sur leur cher territoire tant aimé ! Après tout, il fallait bien partagé, non ? De toute façon, Aile de Corbeau n'avait pas l'intention de bouger et encore moins d'aller demander refuge dans leur campement. Les rochers ne leurs appartenaient pas. Non, c'était un don que Dame Nature avait permit à cet endroit, et que ces stupides matous s'étaient appropriés comme si cela leur appartenaient depuis des lustres.

Les portes du sommeil s'ouvrir toute seule, et la chatte s'endormit très vite, bien qu'elle soit trempée jusqu'aux os, le ventre vide criant famine, la mine bien hirsute. Elle se cala entre les deux rochers, se recroquevilla pour se réchauffer, puis ferma les yeux et inclina la tête.
Aile de Corbeau se réveilla à l'aube. Le soleil venait à peine de percer le ciel, et son ventre était toujours aussi vide.
Elle partait justement en chasse ! Elle repéra une petite souris bien dodu qu'elle attrapa sans hésitations, dans un bond spectaculaire. Heureusement que Mandragore lui avait apprit à survivre. La chatte couleur jais avala la proie en quelques bouchées avant de se mettre en chasse d'une deuxième souris qui pourrait la rassasier complétement.

Elle leva son museau. Introuvable. Son deuxième repas était tout simplement introuvable, et il ne lui restait plus vraiment beaucoup de temps avant qu'une patrouille adverse vienne la déranger. Pendant qu'elle continuer de chercher, elle commença à élaborer un mensonge ou une raison qui ferait qu'elle se trouverait ici... De toute façon, Aile de Corbeau était une très bonne comédienne et manipulatrice. Qui sait ? Elle pourrait peut-être profiter un peu de l'hospitalité de cette Tribu débile pour en tirer profit ?
Elle sentit une légère odeur. Une seule, cependant, une de l'Eau Vive. Mais bon... c'était pas un chat minable et tout seul qui lui ferait peur ! Elle tendit l'oreille mais n'entendit rien, juste un léger grignotement de rongeur. Le bruit venait d'un talus de fougère dont elle s'approcha tout doucement à pas feutré, la truffe en l'air, les oreilles tendus, les muscles crispés.

La Solitaire découvrit, là, cachée entre deux fougères son gibier. Elle n'avait rien remarquer, grignotant une noisette entre ses petites pattes trapues. Aile de Corbeau bandit les muscles, prête à lui sauter dessus. Elle sortit tout doucement ses griffes, ses moustaches frétillants d'impatience au moment où elle transpercerait la tendre chair de l'animal et qu'elle savourerait son fumet si délicat...

Aile de Corbeau était prête, elle attendit que la souris morde en pleins dans la noisette. Dans un dernier soupir, elle banda ses muscles à son maximum, afin de ne pas raté sa cible. Elle était prête. Soudainement, quelqu'un d'autre l'attrapa devant elle.
La chatte noire en resta bouche bée et s'assit, les oreilles en arrière par la colère. Elle ne vit pas tout de suite de qui il s'agissait, mais il avait l'air d'être seul ! Elle feula en crachant :


<< Je rêve ! Cette souris était à moi ! >>, s'écria la chatte errante irritée et furax.

<<Ton nom n'es pas écrit sur cette souris. Qui es-tu ? >>

La chatte noire remarqua que ce n'était qu'une boule de poil naïve et jovial. Elle rentra ses griffes, se radoucissant un peu. Mais n'empêche que c'était son repas ! Aile de Corbeau s'assit dans un talus d'herbe grasse afin de bien faire comprendre à l'autre qu'elle n'avait aucune intention de bouger d'ici, et elle se lécha soigneusement une patte en réfléchissant à ce qu'elle allait lui répondre. Elle posa un regard toujours irritée sur l'autre et d'une voix rauque et railleuse lui répondit :

<<Le tiens non plus, remarque. Moi ? Je suis une solitaire, une chatte errante, libre. Libre de ma vie, de mes actes, je ne fais pas partie d'une meute de chats minables qui se battent avec les autres pour un bout de forêt ou trois souris par-là. Je n'ai aucune limite, aucune frontière, rien qui ne m'arrête. Déguerpis de mon chemin, petite. >>

La chatte couleur de jais la regarda profondément dans les yeux.
Ce n'était pas à elle de bouger, non, elle n'obéissait à personne, surtout pas à une demie-portion. Alors même si c'était chez elle ici, il fallait qu'elle se fasse une raison, après tout, Aile de Corbeau était trois/quatre fois plus vieille, plus expérimentée qu'elle. Elle pouvait même l'envoyait valser en haut d'un pin ou lui fracassait le crâne d'un coup d'épaule dans la mâchoire. Non, elle n'allait pas se battre, pas maintenant, pas aujourd'hui, mais elle trouverait bien un moyen de faire fléchir la chatte blanche.

<< Écoute, je n'ai aucune envie de me battre ou d'abîmer ton si jolie minois, dit-elle ironiquement, mais déguerpis, dégage, va t'en. Ce serait tellement dommage si ta maman ne te verrais jamais revenir, tu ne crois pas ? Tu voudrais continuer ta formation oui ou crotte de renard ? Alors, casse-toi, compris ? >>

Pourtant, la chatte devant elle semblait déterminée à ne pas lever une patte.
Pourquoi faut-il toujours que les gamins nous gâchent la vie ?, pensa la chatte errante en soupirant longuement.