Une jeune chatte au pelage tigré de noir sur une fourrure brune assez sombre boudait dans un petit coin de la ville. Elle tremblait de peur et de tristesse, les larmes lui montaient aux yeux, elle craignait plus que tout ce qui lui apportait la seconde qui suivrait. À chaque instant, elle risquait la mort. Que ce soit un chat rogue et méprisant ou un chient sanguinaire qui pouvaient trainer dans le coin, elle était en grand danger. Même les humains lui paraissaient soudainement tellement sournois et non plus dignes de confiance. Auparavant, elle les respectait, elle les aimait, elle les pensait tellement… gentils. Mais elle venait de se rendre compte, il n’y avait pas un lever de soleil, que ce n’était pas du tout vrai. Elle s’était trompée sur ce coup-là, largement. Ces ignorants ne savaient rien des sentiments des autres êtres sur Terre, ils ne pensaient qu’à eux et à leurs grosses machines, capable de tuer un chat en moins de deux secondes. Étaient-ils donc stupides au point de ne pas remarquer les effets qu’ils avaient ? Non, leur problème, c’est qu’ils s’en fichaient complètement. Ce n’était ni le fait qu’ils avaient tué sa mère et qu’ils lui avaient mis à la porte que la jeune Jasmine reprochait le plus à ces hommes egocentriques, mais le fait qu’ils n’en avaient rien à faire. La rage montant dans son sang bouillonnait en son fort intérieur, elle avait une envie irrépressible de sortir ses griffes aiguisées et de les planter dans les corps exécrables de ces sales bêtes. D’habitude très clame et sensible, jamais elle ne s’aurait cru capable d’une telle soif de vengeance. Et pourtant… voila l’effet que ces humains avaient sur les félins. Ils étaient dangereux, mieux valait s’en écarter, le plus rapidement possible.
Mais quelque chose l’en empêchait. Le mieux pour elle serait de quitter au plus vite cette cité, de partir à la conquête du monde, de vivre quelques aventures en tant que rebelle et libertaire… Son esprit lui criait de le faire, et pourtant, son cœur ne pouvait toujours pas laisser tomber sa vie tranquille de chatte domestique d’auparavant. Sans doute parce que c’est la seule chose qu’elle avait connue depuis sa naissance. Ne plus voir chaque matin les enfants de ses maîtres allait être pour elle l’enfer, voir pire. Elle avait toujours aimé se faire câliner par eux, sentir leurs douces carasses le long de son échine, suivre la petite boule de laine qu’ils avaient dans leurs pattes. Plus jamais elle ne pourrait le faire à présent. Et même si la possibilité se présentait, elle devait à sa mère ainsi qu’à elle-même de la refuser. Trop tard. Les humains avaient eu leur chance. Plus jamais elle ne penserait à eux. Plus jamais elle ne voudrait d’eux. Plus jamais.
La pluie tombait par milliers de gouttes, telles des larmes, tombant de la voûte céleste, couverte par une nuée de nuages ombreux. Y avait-il là haut un Dieu qui épiait la douce et l’innocente chatonne ? En tout cas, s’il était bel et bien là, il ne faisait pas grand-chose pour elle. Son ventre lui criait de manger, mais elle n’avait absolument rien à disposition. C’est à peine si elle savait chasser d’elle-même, vu son jeune âge, et rien que pour combler le tout, elle était morte de fatigue. Elle n’avait que quelques mois, dix au grand maximum. Des centaines de choses lui restaient encore possibles, des milliers d’opportunités et d’expériences l’attendaient encore. Logiquement, elle avait encore un bon bout de sa vie à vivre… Sauf qu’elle le savait au fond d’elle, et elle était sûre de ne pas se tromper ; ce coucher de soleil allait être le dernier qu’elle verrait.
Elle n’avait pas tort en plus. Elle ferma les yeux, sentant sur ses cils la froide fraicheur de ses larmes, pensant à ce qui s’était passé, pour qu’elle soit dans cette position…