Ciel bleu. Soleil scintillant. Nuages blanc. Brise fraiche. Sable chaud. Enfin, le gel s'en allait. Les plaques de givre qui récemment recouvrait les cristaux de quartz dont était composé le sable avaient fondu. Le printemps reprenait pleinement la place, bien que plus tardivement qu'à l'habituelle. La Combe Sablonneuse se gorgeait des rayons du soleil, cherchant à retrouver sa chaleur d'autan. Ce qui était à moitié fait d'ailleurs. Trottinant vivement pour éviter un temps trop long contre la matière brûlante, un siamois chocolat point aux poils mi-longs sautillait sur les petites dunes, laissant derrière lui des traces de coussinets parfaitement dessinés, qui disparaissaient très lentement sous la légère brise matinale. Armistice se stoppa au sommet d'une dune plus haute, et avisa les alentours. Une immense étendue de sable s'étalait devant lui. C'est à peine si on discernais les frontières lointaines entre la Combe et une autre partie du territoire de l'Eau Vive. Soupir. Décidément, le Errant était toujours fourré sur le territoire de cette tribu ... Il faut dire qu'il est unique. Enfin. Le siamois bailla ostensiblement, puis s'assit, ramenant sa queue contre ses pattes avants. Son superbe pelage blanc et chocolat aux extrémités était légèrement soulevé par l'incessante brise qui planait sur la Combe en cet début de matinée. Armistice songea à la présence des deux tribus sur cet immense territoire. Toutes deux se disputaient sans cesse.

Armistice était inquiet. Depuis son arrivée ici il y a déjà une lune, il n'avait croisé aucun Errant comme lui. Uniquement des chats de tribus. Serait-il ainsi le seul à être ainsi, sans parti ? Le félin s'ébroua, grognant de plaisir à sentir une fourmi sur son dos être éjecter, l'empêchant ainsi de continuer à grimper sur son corps athlétique en le chatouillant. Le félin se contorsionna pour se lécher l'épaule, lorsque la brise agaçante qui lui sifflait dans les oreilles vint cette fois l'aider. Présence inconnue. Le matou redressa le nez dans son dos, et vit une silhouette s'approcher. L'Eau Vive. Le Errant se mit debout, face à l'individu qui continuait de s'approcher de lui. Il était loin d'être dans la meilleure position. Ainsi le Errant garda les babines closes.

La silhouette se stoppa au pied de la dune. Sous le soleil éclatant, Armistice parvint à discerner le pelage du nouvel arrivant. Enfin, en l'occurrence, de la nouvelle arrivante. Son pelage était relativement clair, bien que de nombreuses tâches brunes plus ou moins sombres ne recouvre une partie de ses poils fins. Le siamois chocolat point crut discerner une lueur émeraude dans son regard, mais il ne s'attarda pas sur ce détail, cherchant plutôt à répondre très poliment à cette personne qui lui semble bien présomptueuse. Ses paroles, néanmoins, le firent dérivé sur le grade si particulier de Meneur. Le nom d'Étoile d'Ajonc avait souvent circulé, murmuré et chuchoté à l'oreille d'Armistice sur les chemins des territoires. Serai-ce donc elle, la fameuse meneuse de l'Eau Vive ? Armistice gonfla le torse, histoire de ne pas paraitre nain non plus du haut de ses onze lunes, et descendit la petite dune sur laquelle il était perché. A une distance ressemblant à deux mètres, Armistice se stoppa. Évitant ainsi les coups directs. N'étant pas prédisposé à de grands combats épiques, le Errant préfère la tactique à la force brute. Son regard océan restait mi-clos, signe de calme, son corps n'était point tendu, sa queue restait dans un angle coincé entre l'horizontal et le vertical. Sa voix était à l'image de son apparence extérieure et profonde: très cultivé et détendu.

Bonjour Étoile d'Ajonc. Vois-tu, je me doute être sur ton territoire. Y passant parfois le plus clair de mes journées. Comme je peut passer le plus clair de mes journées sur le territoire de Lune Montante, ou sur les Terres Libres. Voici le planning d'un Errant. On aurait pu pressentir la moquerie sous ses paroles, mais Armistice ne laissait toujours rien paraitre. Son respect envers les chats - qu'il éprouvaient lorsque ceux-ci n'avait pas perdu toute l'estime du siamois - était égal à tous. Pourquoi se plierait-il face à un Dominant de Tribu ? Après une très brève pause, Armistice poursuivit. Comment veut-tu que je connaisse tes "règles" ? Je les ignorent entièrement. Me doutant que tu ne veuille point perdre ton temps à expliquer à un gosse malpoli ces phrases sans sens, je te somme, moi, de t'épargner cette peine et de me laisser tripoter un peu mes affaires personnelles qui sont totalement détachées des tribus, qu'elle quel soit. Déjà le regard d'Armistice semblait s'élargir, les paupières du Errant se soulevant sensiblement. Ses pattes étaient infiniment penchée, prête à faire bondir le corps souple du siamois.
Aux moindre geste de trop. Comme lui avait soufflé surement la parole de trop.

Armistice se plaqua contre le sable à la lueur des pointes affutées et des côtés aiguisés de griffes puissantes. Décamper n'était pas la plus belle et honorables des solutions mais qu'importe. Armistice n'était pas ici pour rien. Son regard bleu était largement ouvert. Il savait qu'il n'avait aucune chance face à une Meneuse. Mais était-ce par erreur qu'il était arrivé ici ? Était-ce par erreur qu'il a décidé de s'installer sur ses terres ? Non. Ce n'était ni par erreur, pas pour rien. Le siamois aux poil mi-long se redressa infiniment lorsque la voix d'Étoile d'Ajonc s'éleva. Peu à peu, Armistice pressentit toute la morale de cette tirade d'ennuis tressés. Le Errant cru s'étouffer avec sa propre langue. Ce qui expliqua la moue tendue de son visage, qui resta ainsi même après que la chatte eut terminé son discours. Armistice se racla la gorge, fixa le sol, grattant le sable. Ne pas se déconcentrer, ne pas se perdre dans ses émotions ... Il faut rester un tant soit peu fier au fond de soi.

Le Errant releva la tête et dit d'une voix à peine soufflé. La brise suffisait à porter ses paroles aux oreilles fines d'Étoile d'Ajonc. La mort n'est qu'une grande aventure à la suite de la vie. Je n'ai pas peur d'elle. Seulement, je tiens à rester un vivant tant que je le peut. Ainsi je pense avoir assez de chances de mon côté pour pouvoir continuer de respirer, car je ne suis que dérisoire à tes yeux. Si je suis si dérisoire, inutile, pitoyable ... A quoi cela te servirai-t-il de me donner la mort ? La voix d'Armistice se transforma en venin alors qu'il soufflait les péjorations. Il poursuivit en laissant à peine le temps à son adversaire d'inspirer une fois. Les Tribus ... Depuis quand elles acceptent les autres chats ? Vous avez bien refuser ma mère. Évidemment, vous ne devez pas vous en souvenir. Les Errants sont si dérisoires, inutiles et pitoyables ... N'est-ce pas ? Du sarcasme venait s'ajouter à l'arrière de résonance. Après deux immenses respirations qui eurent pour effet de le calmer un peu, Armistice reprit. De toute façon, je n'aurai nullement besoin de rejoindre les rangs de chats bien élevés. Je sais qu'à mon décès, je retrouverai celle qui m'a donné la vie. Elle me rappellera quand elle le souhaitera. Et pour l'instant, elle souhaite que je marche encore, et encore, que j'emmagasine assez de souvenirs, de paysages, de beauté ou même d'horreur et de défauts pour que, lorsque je lui serai rendu, je pourrai tout lui raconter, tout. Et non pas le minuscule récit qu'elle me faisait chaque soir de sa courte escapade en terre de Tribus, d'où elle fut chassée et humiliée. Armistice se tut enfin, droit et haut sur ses pattes, le poitrail gonflé, son regard mi-clos non plus calme, mais ombrageux et chargé, presque assassin. Quelle récompense que de mourir ?

Le chat s'affala dans le sable. Il se releva avec peine. Il se campa devant moi et semblait attendre... attendre quoi ? C'était à son tour de frapper ! Il tituba et s'écroula de nouveau. Etoile d'Ajonc pouvait attendre les râles qui sortaient de sa gueule. Elle fut prise de pitié. Certes, il lavait cherché et elle n'avait fait que son devoir. Elle pouvait entendre le félin suppliait de l'eau. Enervée, elle battit la queue. Ne pouvait-il pas mourir dignement plutôt qu'expirer là dans la honte ? Ca faisait tâche de le voir affalé sur le lieu d'entraînement des aspirants. Il n'y avait personne de sa famille pour l'achever et l'enterrer ? Ce n'était pas son travail ! Il voulait de l'eau ? Il allait en avoir ! Elle le prit pas la peau du cou et essaya de le traîner vers la cascade. En territoires libres. Il y mourrait sans ternir l'éclat de sa tribu. Un cadavre d'un chat errant pouilleux et impi sur ses terres, où allait-on ! Bientôt tous les chats-errants viendraient mourir à ses pieds sans combattre. Elle atteignit le cours d'eau, son fardeau toujours entre ses dents, et le lâcha. Elle ne savait pas s'il était encore en vie, et elle s'en fichait. Elle lui aspergea le visage d'eau. Il toussa. ...